Je tiens sans doute cela de ma grand-mère maternelle et de ses ancêtres bretons, mais j’ai toujours été assez superstitieux. Non pas que j’aie peur des chats noirs (au contraire) ou que je ne passe jamais sous une échelle (au contraire) mais, comme la plupart des gens finalement, j’ai besoin de donner du sens aux choses et j’ai tendance à interpréter les évènements. Néanmoins, du fait de ma formation globalement scientifique, j’ai fini par apprendre que tout n’est que coïncidence. L’étude des probabilités m’a même montré qu’il y a souvent plus de chances qu’une coïncidence se produise que le contraire. Mais tout dépend aussi de ce que l’on appelle une coïncidence ; si on lance six fois un dé par exemple, on a plus de chances d’avoir au moins deux fois le même résultat que six résultats différents.
Et dans ce cas précis, il n’est pas évident de dire si obtenir deux fois le même résultat est plus une coïncidence que d’en avoir six différents. Au lycée, notre prof de maths nous avait expliqué que sur une classe d’une quarantaine d’élèves, il est en fait très probable que deux d’entre eux aient la même date de naissance, ce que nous avons vérifié. Mais les gens ont tendance à croire que la nature est plutôt du genre à répartir équitablement les dates et les résultats de dé, ce qui est une grosse erreur. La nature n’est que chaos, et l’être humain a besoin d’ordre. C’est d’ailleurs sans doute notre plus gros problème, en plus du manque de temps : vouloir donner un sens à ce qui n’en a pas, à commencer par notre existence. D’un autre côté, si on ne le faisait pas, on se jetterait tous par la première fenêtre venue.
Récemment, j’ai découvert mon nouveau mentor, James Randi. En plus de faire des tours assez hilarants, ce magicien a passé une bonne partie de sa vie à combattre les escrocs qui se font passer pour des médiums, et il offre d’ailleurs depuis de nombreuses années une somme faramineuse à quiconque pourrait faire la preuve de ses pouvoirs. Et comme il l’explique dans un long documentaire, il est impopulaire parce que les gens ont envie de croire. En particulier à notre époque, où quasiment tous les mystères de la science semblent avoir été déjà résolus – ce qui est loin d’être vrai – les gens se tournent de nouveau vers la spiritualité… Avec les excès qu’on connaît. Le problème, c’est qu’il est facile d’interpréter les faits comme cela nous arrange ; c’est même la technique préférée des médiums !
Ils font volontairement des prédictions très vagues auxquelles on trouvera forcément moyen de s’identifier. Ils vous diront par exemple : « récemment, vous avez été frustré parce qu’une chose ne s’est pas déroulée comme vous le souhaitiez » ou ce genre de généralités. Et ceux qui communiquent avec les morts vous diront que votre aïeul vous aime – quel scoop ! Bien entendu, pour ceux qui y croient, ces prédictions peuvent avoir une vertu apaisante, mais cela devient très gênant quand de fortes sommes sont en jeu, et que certains charlatans prétendent guérir le cancer ou faire marcher les handicapés. Ceux-là, Randi en a confondu plus d’un, mais il reste encore des escrocs québécois qui prétendent hypnotiser les gens avec la complicité d’animateurs télé qui placent l’audimat avant la responsabilité…

Je ne porte ni agneau, ni sac Hermès…
Maintenant que j’ai évacué les choses graves, les superstitions dont je vais parler vont sembler bien ridicules. Comme je le disais, je reste malgré tout un peu superstitieux, mais mes croyances se limitent plutôt à des coïncidences rigolotes. Enfant, comme ceux qui aujourd’hui rêvent d’être « l’élu » d’un récit dystopique pour ados prépubères, je pensais être prédestiné pour quelque chose, mais la grande question était de définir quoi. Je partais donc du seul élément prédéterminé de ma vie : ma date de naissance, le 20 août 1980. C’est une date sympa (20/08/80) mais j’ai eu bien du mal à en tirer quelque chose de plus. Passionné de mythologie grecque et étant né un mercredi (Mercure), je m’associais à Hermès, le dieu du commerce et des voleurs. Mais avec le temps, j’ai dû me faire une raison…
Je ne suis hélas ni commerçant, ni voleur, ni rapide. Mais cela m’a donné une raison de m’intéresser à la mythologie, et plus tard au Grec qui m’a valu un 18 au Bac ! On voit donc bien comment on peut inverser cause et conséquence parfois. Ce n’est pas ma date de naissance qui m’a prédestiné à quelque chose, mais mon interprétation qui a modelé mon existence. Cet intérêt pour la mythologie a logiquement placé Les Chevaliers du Zodiaque dans les dessins animés préférés de mon enfance, et là encore, étant du signe du Lion, je suis devenu logiquement fan de Aiolia qui est, il faut le dire, relativement mis en valeur dans la série. Il est même le protagoniste d’un spin-off apparemment, et son « ancêtre » Regulus est « le plus jeune des Chevaliers d’Or et il est considéré comme un génie du combat » d’après Wikipédia.

Les seules différences entre lui et moi c’est qu’il était raciste et a été publié ; le monde de l’édition n’a donc pas beaucoup changé…
Mais j’aimais ce personnage parce que j’étais Lion, et pas le contraire. C’est un peu comme lorsque l’on nous fait un portrait basé sur notre signe ; on va acquiescer pour les qualités et relativiser les défauts, sauf s’ils sont pertinents mais bénins. Petit, j’avais aussi reçu un portrait basé sur mon prénom, qui me semblait assez juste sauf pour le défaut ; les Guillaume sont supposés avoir du mal à se faire au changement. On pourrait voir là l’explication de mon intérêt pour les vieux jeux vidéo, si ce n’est qu’il s’agit plus pour moi de curiosité que de nostalgie en l’occurrence. Et tant qu’on est dans les centres d’intérêt qui découlent d’une coïncidence, je suis bien obligé de mentionner que je suis né 90 ans jour pour jour après H.P. Lovecraft. Or pendant longtemps, son œuvre ne m’intéressait pas vraiment…
Ce n’est que plus tard, alors que je savais déjà pour l’anniversaire, que je me suis penché sur ses écrits, mais surtout parce qu’ils avaient inspiré d’autres choses qui me plaisaient. En revanche, c’est plus récemment que j’ai découvert une autre coïncidence amusante. En effet, au départ, je me disais que 90, c’était rond, mais pas autant que 100. Or en 2014, mon anniversaire est tombé un mercredi et ma mère m’a expliqué que la loi qui régit les jours de la semaine est assez compliquée du fait des années bissextiles. Cela arrive tous les 6, 5 ou 11 ans selon les cas. Il y a sans doute moyen de formaliser tout ça mathématiquement mais j’ai préféré aller sur un site qui donne le jour de la semaine en fonction de la date : le 20/08/1890 était un mercredi ! Mais il y a bien sûr plein d’autres gens qui sont nés ce jour-là…

Non mais allô quoi !
D’ailleurs, j’avais su pour Lovecraft via IMDB, qui listait tout un tas d’autres gens nés un 20 août dont la grande majorité n’a sans doute aucune pertinence par rapport à ma vie. Mais là encore, on a tendance à se concentrer sur ceux « qui nous arrangent ». Par exemple, Ray Wise joue un rôle important dans ma série préférée, et Isaac Hayes est le méchant de New York 1997 de John Carpenter – l’un de mes deux ou trois réalisateurs préférés – mais je ne me suis jamais intéressé à sa musique (celle de Isaac Hayes, hein ?) ni à son rôle dans South Park ! Dans les personnalitées nés un 20 août, plus proches de nous, il y a aussi Laurent Fabius. L’été dernier, à la radio, les anniversaires étaient signalés chaque matin et il se trouve que François Hollande est né le 12, Manuel Valls le 13 et Jean-Luc Mélenchon le 19.
Cela fait beaucoup en huit jours et je n’ai pas le souvenir que l’animatrice ait signalé d’autres personnalités politiques, de l’opposition par exemple. Alors je vous vois venir, vous allez me dire que sur les quatre, ils ne sont pas tous de gauche pour autant. Ah Ah. Très drôle. Bref. Revenons au mercredi. Il se trouve que c’est le jour des sorties en salle en France, et que le cinéma est l’une de mes plus grandes passions. Mais je ne suis évidemment pas le seul et si j’étais né un vendredi, j’aurais sans doute prétexté que c’est le jour des sorties aux États-Unis ! Mais quels films sont sortis le 20 août 1980 ? En tant que cinéphile, je dois avouer que je suis rarement gâté vu que le mois d’août est souvent le moment où sortent les navets, même pas les blockbusters, plutôt ceux que l’on ne se gêne pas à sacrifier en plein été.

Faith Minton dans Rosy la Bourrasque de Mario Monicelli
D’après Allociné, deux films sont sortis le jour de ma naissance. Il en manque sûrement, d’autant qu’il y en a bien plus le 27, dont Les Guerriers de la Nuit. En même temps, on peut comprendre que peu de films aient tenté de s’opposer à L’Empire contre-attaque, le meilleur des Star Wars. Je sais que beaucoup auraient voulu naître le jour de sa sortie mais, ironiquement, même si le film a bercé mon enfance, ça ne me fait pas plus d’effet que ça. Non, ce qui m’intéresse, c’est l’autre film, Rosy la Bourrasque. Pourquoi ? Parce que le dernier film de Mario Monicelli, comme celui de Robert Aldrich, aborde le catch féminin, une autre de mes grandes passions. Et là, on est clairement moins nombreux et je n’ai pas attendu de découvrir cette anecdote pour m’y intéresser… C’est donc une vraie coïncidence !
On ne s’attardera pas sur le fait que Gérard Depardieu joue dedans puisqu’il était déjà dans tous les films européens de l’époque, mais il y autre chose de rigolo à ce sujet. Chez les indés, le catch féminin est appelé « Joshi » comme abréviation du japonais « joshi puroresu » qui signifie simplement « catch féminin ». Et ce qui m’a bien fait rigoler quand j’ai lu l’intégrale de Lovecraft, c’est que son grand spécialiste se prénomme S.T. Joshi ! Tant qu’on y est, le « ST » fut également mon premier micro-ordinateur, et donc le départ d’une autre passion, mais là, ça commence à aller trop loin, même pour moi… Dans le même esprit, il se trouve que le 20 août est la Saint Bernard. Et pendant longtemps, le superstitieux que j’étais se montrait frustré que ça ne présente pas d’intérêt pour moi, qu’il n’y ait de « signe » derrière.

Ce Saint Bernard sauve des vies sur les pistes de danse
Il faut dire que le seul Bernard qui me venait à l’esprit était le parrain de mon frère. Je ne sais pas si j’y avais pensé à l’époque, mais c’est aussi le nom de famille d’un ami d’enfance – que je salue en passant. En fait, j’avais fini par oublier cette particularité du calendrier quand j’ai réalisé, longtemps plus tard, que Bernard était aussi le prénom du leader de mon groupe préféré ! Mais bien entendu, à l’époque où j’ai découvert New Order, je ne connaissais pas encore son prénom, et je suis probablement devenu fan avant de le découvrir. C’est donc là aussi une vraie coïncidence. Néanmoins, tout cela est relativisé par le fait que, toujours côté musique, je n’apprécie pas vraiment la musique de Joe Dassin – bien que le côté dépressif de cette chanson m’amuse beaucoup – alors qu’il est mort le jour de ma naissance.
Mais bien entendu, si j’avais été son plus grand fan, je me serais vanté d’être sa réincarnation, ce qui m’aurait au moins donné une bonne raison de donner un coup de boule à Patrick Sébastien. Non pas qu’il lui fasse du tort, je l’avoue, c’est sans doute même l’un de ses plus grands admirateurs, mais j’ai quand même envie de le frapper… Au final, comme il est assez facile de tordre les faits pour qu’ils disent ce qui nous arrange, mieux vaut accepter ces « signes » comme de simples coïncidences amusantes, qui donnent un peu de piment à notre existence. Je ne vois vraiment qu’un seul cas où il est réellement pertinent, voire même indispensable, d’interpréter les messages que nous livre la nature ; un gros canard blanc sur un lac, c’est un cygne. Oui, je sais, cette blague fonctionne mieux à l’oral qu’à l’écrit…