Herzog Drei, le rêve retrouvé

La grotte des rêves perdus (Werner Herzog, 2010)La Grotte des rêves perdus a sans aucun doute constitué mon premier vrai choc cinématographique en matière de 3D. Il faut dire que jusque là, les seuls films en relief que j’avais vus à l’occasion du retour en grâce du procédé, avaient été des films d’animation ou à la rigueur des films « hybrides » comme Avatar ou Alice au pays des merveilles. La 3D avait au moins contribué à donner vie à des lieux et à des personnages imaginaires, et même amélioré le mélange d’éléments réels et en images de synthèse (dans le film de James Cameron en particulier) – autrement dit, les incrustations. Mais je pense que ces expériences sont trop irréelles pour vraiment faire ressentir l’apport du procédé dans la représentation du réel. Quelques mois auparavant (en avril 2011), Wim Wenders en avait donné un aperçu avec son documentaire sur Pina Bausch. Mais malgré quelques belles idées (les danseurs au milieu de la maquette, le tramway aérien), et l’adéquation naturelle de la 3D avec les spectacles vivants, le film ne m’avait pas transporté. Alors qu’à la fin du documentaire de Werner Herzog, j’étais presque en larmes.

Mais cette émotion ne provenait pas uniquement du trouble métaphysique qui habite le film, quand le réalisateur nous fait par exemple remarquer que deux animaux qui semblent former un seul dessin ont en réalité été tracés à cinq mille ans d’intervalle. Juste avant l’épilogue, le documentaire connaît une sorte de climax durant lequel Herzog enchaîne de nombreux plans de la grotte, hantés par la musique obsédante d’Ernst Reijseger. Le montage n’est pas rapide, mais on sent pourtant l’urgence du réalisateur qui sait que son temps de prise de vue est limité, et que personne ne pourra probablement jamais retourner filmer cet endroit. Et au même moment, j’étais moi-même travaillé par l’idée que je ne reverrais peut-être jamais ce film. C’était il y a moins de trois ans, mais la mode de la 3D était déjà en pleine incertitude, d’autant qu’on commençait à voir naître des films « convertis » qui auraient pu la tuer dans l’œuf. De plus, les premiers écrans 3D n’avaient pas plus d’un an et s’avéraient encore hors de prix – j’ignore si les téléviseurs passifs existaient d’ailleurs.

Certains reliefs sont déjà magnifiques en 2D mais...

Certains reliefs sont déjà magnifiques en 2D mais…

Si la tendance s’était poursuivie, les éditeurs n’auraient peut-être même pas couru le risque d’éditer un film d’auteur en Blu-ray 3D… Je n’exagère donc pas beaucoup en estimant alors que c’était peut-être la dernière fois que je voyais ce film dans ces conditions et, comme je le disais dans mon précédent article, il était pour moi hors de question de le visionner autrement… Il s’en est fallu de peu, et c’est peut-être l’inertie liée à la durée de processus de création d’un film, en particulier un blockbuster, qui aura permis de voir en 2013 un grand nombre de films en 3D. Tous n’ont pas été des succès commerciaux, mais la technologie 3D, en particulier passive, s’est démocratisée et les téléviseurs ont atteint des prix extrêmement raisonnables. J’ai pu m’offrir pour Noël un téléviseur et enfin voir les trois films que je possédais déjà – j’avais même fini par regarder deux d’entre eux en 2D, la mort dans l’âme…

Et avant que ce film ne devienne une rareté hors de prix, j’ai pu me procurer le documentaire par lequel « tout a commencé » d’une certaine manière, du moins pour le cinéma. En plus, je n’avais pas pu aller voir La Grotte des rêves perdus dans l’un de mes cinémas habituels, les copies 3D étant peu nombreuses – la mode déclinait alors sérieusement, encore une fois. Et du coup j’avais vu le film en VF, avec le réalisateur Volker Schlöndorff doublant Werner Herzog en français, ce qui constitue en soi un petit sacrilège. Sa voix est en effet si populaire, notamment aux États-Unis où Grizzly Man a beaucoup marqué, qu’il a même été sollicité dans un épisode des Simpsons. De manière générale, il lui arrive de faire l’acteur, et il a joué un méchant savoureux – un rôle qui semblait écrit pour lui de manière troublante – dans Jack Reacher face à Tom Cruise, même s’il est au final sous-exploité. Cela a sans doute contribué à l’étrange aura culte qui entoure ce film (le réalisateur David Gordon Green l’a vu trois fois !). Et c’est aussi à cause de sa voix que naissent des parodies de ce genre.

Certains plans ont été tournés avec une caméra de moins bonne qualité

Certains plans ont été tournés avec une caméra moins performante

J’ai donc pu enfin profiter de la voix hypnotisante de Werner Herzog, en espérant que l’image n’ait pas trop perdu de ce côté. Comme je l’expliquais dans mon top 5, j’étais assez inquiet de la qualité de compression du film. Les grottes étant particulièrement sombres et n’offrant pas un éventail de couleurs terriblement varié, je craignais que le résultat soit catastrophique. Il n’en est heureusement rien même si, comme au cinéma, le rendu est assez inégal. Il faut savoir que le tournage a sollicité au moins deux types de caméra. Celle utilisée lors de la première visite de la grotte au début du film, similaire (ou identique) à la caméra volante téléguidée du premier plan et de quelques passages en extérieur, affiche une résolution plus faible. Cela gêne moins qu’au cinéma vu la taille de l’écran, notamment en extérieur, mais certains plans de la caverne sont quand même moins beaux.

Et j’ai même revu quelques bugs déjà remarqués au cinéma. Quand les plans se limitent à montrer les parois de la grotte, même avec la caméra légère, il n’y a aucun problème. Mais dès qu’il y a des humains à l’image – symbole amusant – ils la « parasitent » en épousant le relief du lieu. On pourrait croire certains plans tournés en 2D pour des raisons techniques puis convertis pour l’homogénéité, mais j’ai noté le phénomène avec les deux types de caméras. Cela crée des aberrations comme des ombres qui semblent en avant de leurs propriétaires ! L’exemple qui m’a le plus frappé en salle, et aussi en Blu-ray, est le passage vers 33′ avec les deux femmes et le mur aux « points rouges ». Le plan qui s’avance vers elles est étrange ; le mur qui devrait être loin derrière paraît les relier toutes les deux… Cela s’arrange néanmoins pendant l’interview qui suit, ce qui me laisse penser à un bug lié au codec de compression de la caméra, d’autant que la luminosité est très faible. Un autre exemple : dans le dernier plan avec le crocodile albinos qui vient nous faire face, la motte de terre autour de la partie émergée de sa tête semble se détacher du fond pour la rejoindre…

L'un des fameux plans qui "boguent"

L’un des fameux plans qui « boguent »

Mais malgré tout, cela reste encore à ce jour l’un des plus beaux films en 3D. Même en le revoyant aujourd’hui, on constate à quel point il parvient à impressionner en montrant les reliefs d’une simple paroi, quand la plupart des films s’échinent à créer des scènes spectaculaires en image de synthèse. Or, comme je le disais en introduction, la 3D a beau être douée pour donner vie à des fantasmagories, elle est surtout saisissante par sa manière de retranscrire avec fidélité le réel. Comme au cinéma, les plans que j’ai préférés ne sont pas ceux qui montrent les peintures rupestres, mais ceux qui s’attardent sur le sol brillant de calcite et recouvert d’ossements. D’une finesse incroyable, ils donnent l’impression qu’on pourrait le toucher, ou du moins on croit deviner la sensation qu’on éprouverait en le touchant. Avec un peu d’imagination, on peut même se figurer l’odeur et l’humidité du lieu. Côté son, l’effet des battements de cœur, supposé recréer une sensation bien réelle, n’est pas très convaincant, mais la musique du film a elle-même gagné en profondeur, puisque le compositeur s’est fait construire un violoncelle avec une corde grave supplémentaire !

Werner Herzog a d’ailleurs réalisé un documentaire, comme il l’a déjà fait sur certains de ses films précédents, sur l’enregistrement de la musique. Celui-ci est proposé en bonus et vaut sacrément le détour. C’est un beau complément à un documentaire pour lequel le procédé de la 3D semblait avoir été inventé. Dans la mesure où le cinéaste souhaite nous montrer un endroit dans lequel on ne pourra jamais aller, il fallait trouver le moyen de nous donner au maximum l’illusion d’y être, même si l’expérience est forcément lacunaire. Il y a toutefois un projet de recréer la grotte pour les touristes à partir des relevés effectués, et on pourra alors voir si cette expérience donne plus l’impression d’y être que le film. Mais là où le cinéma laisse un minimum de place à l’imagination en ce qui concerne les odeurs ou la température, je crains qu’un endroit réel, par sa matérialité, ne fasse qu’amplifier son côté factice…

L'un des plus beaux plans du film... à condition de le voir en 3D

L’un des plus beaux plans du film… à condition de le voir en 3D

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