Pour en finir avec les crossovers de super-héros

Justice League

Après mon délire personnel sur les films en cartouches, je vous propose en ce lendemain de second tour un débat sans doute aussi segmentant dans les cours de récré que celui de l’abstention. Il faut dire que le phénomène de multiverse commence à contaminer l’ensemble de Hollywood, alors que le récent King Kong se déroule dans le même univers que Godzilla et prépare une (nouvelle) rencontre entre les deux bébêtes, et tandis que La Momie devrait donner le point de départ d’une série de reboots de films de monstres Universal – mais cette fois connectés puisque le Dr. Jekyll (Russel Crowe) est déjà là pour jouer le rôle du Samuel L. Jackson de service. C’est donc indéniablement une tendance lourde (et vraiment lourde) qui a sans doute ses avantages économiques, comme inciter les spectateurs à voir tous les films de l’ensemble pour comprendre quelque chose. Et si l’idée est bien accueillie, c’est aussi qu’elle réalise un fantasme puéril de geek. Mais comme chaque parent le sait bien, un enfant réclame souvent à cor et à cri quelque chose avant de réaliser, une fois qu’il l’a reçu, que ce n’est pas vraiment ce à quoi il s’attendait. Et pas forcément parce que la promesse a été mal tenue, mais tout simplement parce que ce n’était pas une si bonne idée depuis le début !

Bien entendu, les crossovers sont naturels dans le monde des super-héros, puisqu’ils existent déjà sous forme de comics – Civil War étant déjà un arc célèbre en bande dessinée, par ailleurs très critiqué par beaucoup de lecteurs ! Et puis le concept même des équipes est très ancien, puisque les premiers super-héros Marvel n’étaient autres que Les 4 Fantastiques (NB : un « ancêtre » des éditions Marvel avait toutefois déjà créé Captain America et Namor dès les années 1940), imaginés en réaction au succès de… la Justice League de l’éditeur DC. Néanmoins, il ne faut pas confondre d’emblée les équipes comme les X-Men qui reposent toujours sur une dynamique particulière et tout à fait pertinente, et celles qui réunissent des personnages déjà populaires en solo comme les Avengers. Évidemment, ce second cas peut fonctionner comme le premier, et le premier film de Joss Whedon joue aussi bien de rivalités internes entre Captain America et Iron Man, Hulk et Thor et Cie. Néanmoins, cela pose aussi de nombreuses difficultés comme on le verra et, surtout, ce qui me gêne réellement, c’est la généralisation à tous les blockbusters, l’industrialisation à la chaîne de ce processus dans ce cas précis. Car l’uniformisation qu’elle génère est dangereuse pour la créativité à mon avis.

Hulk et Thor

Les crossovers reposent souvent sur les interactions des personnages deux à deux

Les majors ont bien compris que les geeks sont obsédés par la cohérence – ou est-ce plutôt la cohésion ? Quand ils n’adorent pas un film, ils le détestent puisqu’ils sont assez binaires, mais en général, ils ne lui reprochent pas tant sa mise en scène ou son jeu d’acteur que ses incohérences, ses invraisemblances. Les geeks n’aiment pas être pris pour des idiots avec des intrigues simplistes, mais dès qu’une scène se révèle légèrement ambiguë ou ouverte à l’interprétation, c’est tout de suite « confusing ». La poésie a beau pénétrer toute seule par les jointures, elle n’a de toute façon pas sa place dans ces univers bâtis besogneusement. Mais après tout, pourquoi pas, tant que c’est fait avec rigueur. Sauf qu’aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’avoir le moindre background scientifique pour se dire geek ; il suffit de jouer sur son téléphone, connaître Portal et éventuellement ricaner bêtement quand quelqu’un dit « 42 ». Du coup, un simple semblant de cohérence, voire la simple promesse d’une connexion suffit souvent à faire le bonheur du geek de base. Car dans les faits, cette recherche de cohérence à tout prix génère un paquet de nouvelles invraisemblances comme nous allons le voir…

Commençons par le Marvel Cinematic Universe (MCU). Si je continue d’apprécier certains films, en particulier les aventures solo comme Ant-Man ou Dr. Strange, il est clair que je préfère comme beaucoup les séries créées pour Netflix, bien que le niveau varie d’une série à l’autre ou même d’un épisode à l’autre. Or, si ces séries sont elles-mêmes connectées en vue du futur crossover The Defenders dont la bande-annonce est tombée il y a peu, le studio a eu la sombre idée de les placer aussi dans le même univers que les films. Or non seulement cela ne sert pas à grand-chose à part nous faire miroiter des apparitions de personnages qui n’arriveront jamais, mais il y a un vrai problème de cohérence. Outre le fait que ces séries ont une tonalité plus sérieuse et réaliste en général, les références aux films tombent souvent comme un cheveu sur la soupe. Elles se limitent au name dropping décalé de personnages genre « le gros type vert » ou « le mec au marteau », et surtout à la mention de « l’incident ». Mais ce qu’ils appellent ainsi, c’est L’INVASION DE NEW YORK PAR LES EXTRA-TERRESTRES du premier film Avengers. Un incident. Si cela arrivait dans la réalité, je pense que cela chamboulerait profondément notre vision de la vie, notre culture, nos religions – les aliens existent !

Un simple "incident"

Un simple « incident »

Or dans les séries, il semble que tout le monde ait repris son petit train-train quotidien ; les dégâts ont été visiblement réparés et surtout les gens continuent d’être estomaqués quand un type soulève une voiture ou arrête une balle avec son corps. Dans une ville que le dieu du tonnerre et ses amis ont sauvée d’extra-terrestres venant d’une autre dimension. Dans un monde où existent aussi, sans doute, des mutants appelés X-Men. Et ces incohérences n’existent pas seulement entre les films et les séries, mais elles commencent à apparaître entre les films et entre les séries. Ainsi, le personnage de Rosario Dawson qui fait la liaison entre chacune d’entre elles mentionne forcément Luke Cage à Iron Fist, mais évacue le problème en expliquant qu’il n’est pas disponible en ce moment. New York a beau être une grande ville, on comprend mal comment ces personnages ne se croisent pas plus – cela s’est limité jusqu’ici à Luke Cage (littéralement) dans Jessica Jones – ou ne rencontrent pas Spider-Man et tous les super-héros Marvel censés y vivre. Il faut d’ailleurs croire qu’ils parviennent à s’arranger entre eux pour ne jamais s’attaquer aux mêmes malfrats en même temps, à moins que ces derniers soient assez nombreux pour que le partage soit équitable…

Et pourtant, cela ne dérange pas le public qui accueille toujours très bien les films du MCU même s’ils ne sont pas tous réussis. Il faut d’ailleurs saluer la faculté des fans à rapidement oublier les épisodes moins convaincants, genre Age of Ultron, qui pourraient pourtant montrer que la formule de Kevin Feige ne marche pas à tous les coups. Mais de la même manière, ils ne se souviennent déjà plus des réussites de DC – il me semblait pourtant que The Dark Knight était censé être génial – histoire de s’auto-persuader que la Warner a tout intérêt à pomper la formule déjà essorée de son rival. Mais déjà que Black Widow et Hawkeye font un peu pitié dans Avengers, l’équilibrage est encore plus problématique au sein de la pourtant ancienne Justice League. Une hilarante vidéo montre d’ailleurs que, n’en déplaise à tous ceux qui le détestent, Superman pourrait tuer Batman de mille manières différentes, en quelques secondes. Sans compter Kal-El, Flash est déjà surpuissant puisqu’il pourrait tuer quelqu’un en lui tournant autour rapidement ! Et même si les comics s’affranchissent bien entendu de la science, on constate que le personnage n’est presque confronté qu’à d’autres speedsters (c’est flagrant dans la série), les seuls à pouvoir vraiment opposer une résistance.

Crossover DC

Ai-je vraiment envie de suivre quatre séries (23 épisodes par saison chacune) pour un crossover ?

À ce sujet, on a eu un exemple récent de crossover entre toutes les séries DC, c’est-à-dire, Arrow, The Flash, Supergirl et Legends of Tomorrow – à l’exception de Gotham qui se déroule dans le passé. Je n’ai hélas vu que la première partie diffusée dans The Flash, le concept se déroulant sur toute une semaine et incitant donc à suivre les quatre séries… Or pour être honnête, le résultat était plutôt réussi mais parce que les scénaristes ont contourné le principal problème. Il est évident dès le départ que la cousine de Superman est bien plus puissante et n’a pas vraiment besoin de ses copains, mais des extra-terrestres en prennent le contrôle et les autres doivent donc l’arrêter, ce qui est tout de suite bien plus compliqué. Et franchement, je doute qu’ils auraient réussi sans Barry Allen… Mais dès la semaine suivante, chaque personnage est totalement passé à autre chose – on pourrait zapper ce crossover et suivre chaque série sans problème – et se retrouve surtout désespérément seul. Alors certes, ils n’habitent pas dans la même ville comme les héros des séries Marvel, mais lorsqu’à la fin de la saison 4 d’Arrow, la menace ne vise pas seulement Star City mais le monde entier, on peut vraiment se demander ce que glande Kara (alors à sa première saison) ou même son cousin.

Ont-ils réellement tous mieux à faire que sauver la Terre ? Il faut dire qu’on touche là un autre problème lié aux comics : la surenchère dans la menace. Forcément, les super-héros doivent être confrontés à un ennemi toujours plus puissant, et les réunir ne fait qu’empirer le processus. Je suis donc très circonspect vis-à-vis de Justice League, et pas seulement à cause de ça. Curieusement, les geeks qui ont unanimement démoli Batman v Superman et semblent considérer que Zack Snyder est le nouvel Ed Wood ont l’air très excités par la première bande-annonce, mais c’est aussi un juste retour des choses puisque le réalisateur a tout fait pour les brosser dans le sens du poil en multipliant les blagues pourries. Ce qui est triste, c’est qu’ils vont probablement détester le film à sa sortie et Warner aura totalement chamboulé ses plans pour plaire à des idiots – on parle quand même de gens qui viennent de renier leur idole Chris Pratt parce qu’il a osé avouer qu’il était fan des films DC mais avait été déçu par Suicide Squad… J’avais été très intéressé par cet article défendant Batman v Superman et son ton différent. Les arguments sont bien entendu discutables, certes, mais ce qu’il explique sur la « méthode » soi-disant imparable de Kevin Feige chez Marvel ne l’est pas en revanche.

Iron Man

Celui par qui tout a commencé…

Selon lui, tout a commencé avec le succès des Spider-Man car, si les premiers X-Men avaient déjà sonné le retour des films de super-héros devenus moribonds dans les années 1990 à cause de l’infâme Joel Schumacher – j’ai souvent songé à publier ici un article intitulé Le Droit de vomir mais ça m’obligerait à revoir ce que je considère comme le pire film jamais conçu –, il est clair que les films de Sam Raimi ont poussé le phénomène à un niveau supérieur, ne serait-ce que sur le plan commercial. Dès lors, et surtout avec le succès d’Iron Man qui a marqué le début du MCU justement, Kevin Feige a commencé à appliquer cette même recette gagnante mêlant action, comédie romantique et humour à tous les autres super-héros Marvel. Mais malheureusement, comme le souligne aussi ce récent article en français, cette tonalité ne colle pas à tous les personnages, notamment à ceux de DC, et c’est peut-être pour cela que Hulk n’a pas eu d’aventure solo depuis longtemps – l’explication officielle étant que le géant vert fonctionne mieux en groupe… Du coup, même si le studio a un tant continué de confier, sans succès, les films à des réalisateurs réputés (ici à tort) comme Kenneth Branagh, il est rapidement revenu à la formule d’Iron Man réalisé par le tâcheron Jon Favreau.

Ce dernier avait certes réalisé un film à effets spéciaux, Zathura (2005), mais peu importe ; dans les films à super-héros, ce sont les sociétés spécialisées qui réalisent ce type de séquence, préparée très en amont dans le moindre détail, comme le déplorait Brian de Palma dans le récent documentaire qui lui a été consacré. Marvel n’embauche donc que des réalisateurs de comédie comme Anthony & Joe Russo (Arrested Development) et Taika Waititi (Les Boloss), ou de séries TV comme Alan Taylor (Game of Thrones), pour diriger les séquences de comédie entre chaque scène d’action. C’est un peu la technique de certains films de Hong Kong, en un sens, si ce n’est que l’humour potache d’un Wong Jing typiquement était souvent compensé par le talent des chorégraphes. Mais les sociétés d’effets spéciaux ne savent hélas pas mettre en scène, et tant pis si l’image est dégueulasse également et la musique générique, puisque les geeks ne retiennent que les guest stars, les clins d’œil et l’intrigue générale de toute façon. Mais il vaut mieux espérer que le public ne s’en lasse pas trop vite, car les blockbusters n’ont jamais été autant formatés, et ressemblent de plus en plus à des épisodes spéciaux de séries télévisées à gros budget – mais clairement pas écrites par David Simon.

L’avis de Brian de Palma sur les films de super-héros…

La popularité des séries aujourd’hui montre d’ailleurs bien que le public n’a cure de l’art cinématographique, puisque les réalisateurs se succèdent à chaque épisode ; c’est plutôt le chef opérateur et ses collaborateurs à la décoration qui créent le style visuel d’une série. Mais les films de super-héros que je préfère, ce sont justement ceux qui portent la marque de leurs auteurs comme les Spider-Man de Sam Raimi, les Batman de Tim Burton, mais aussi Incassable de M. Night Shyamalan et Des idiots et des anges de Bill Plympton. Or ce sont non seulement des aventures solo mais plutôt des origin stories. Alors oui, je sais que beaucoup en ont marre de voir ce type de genèses pour les super-héros car ils les ont déjà vues plusieurs fois avec les reboots réguliers au cinéma et (encore plus souvent) dans les comics, même si cela concerne toujours la même poignée de personnages populaires à vrai dire… Mais autant il me semble que chaque (super-)héros possède en lui un conflit interne – son ennemi juré étant souvent une sorte de double maléfique – qui est (presque) toujours intéressant à explorer, autant réunir plusieurs personnages uniquement pour leur faire affronter un méchant toujours plus fort nous ramène bien souvent au même schéma puéril d’un shōnen.

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