Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas un fervent défenseur du CD. Je le trouve tout d’abord fragile et délicat à manipuler, ce qui est d’ailleurs la raison pour laquelle Philips avait tenté de remplacer sa propre invention par la cassette digitale. Et s’il offrait à l’origine un temps d’accès bien plus rapide que la cassette, c’est aujourd’hui l’un des supports les plus lents, et il est en outre bien plus dégradable que ne le pensent la plupart des gens. Il est aussi intéressant de noter que ce qui ont été ses principales qualités à l’époque de sa conception sont devenus des handicaps. Son espace de stockage est désormais largement supplanté par la moindre carte SD et sa facilité de fabrication l’a rendu extrêmement simple à pirater. D’où le recours, quel que soit le domaine, aux éditions collector contenant plein d’éléments physiques non reproductibles, ce qui permet aussi de lutter contre l’essor irrémédiable du dématérialisé. En bref, je pense que le support optique est en bout de course, et la seule raison qui pousse à continuer de l’utiliser, c’est cette « habitude » contre laquelle je m’efforce de lutter – la même qui incite les gens à considérer la stéréoscopie comme quelque chose d’artificiel parce qu’ils ont pris l’habitude de regarder des images ne reproduisant la réalité que de manière incomplète, comme je le rappelais pour la énième fois dans mon précédent billet.
Si le disque optique a été ironiquement employé d’abord pour la vidéo puisque le LaserDisc a été commercialisé dès 1978, c’est plutôt avec le CD audio lancé en 1982 que le public s’est familiarisé avec ce support, et dans ce domaine, son aspect inspiré du vinyle faisait parfaitement sens. Il a ensuite fait son arrivée dès la seconde moitié des années 1980 dans le jeu vidéo, répondant au besoin des développeurs de disposer de plus d’espace mémoire, les cartouches et les ROMs coûtant alors plus chers à produire – même s’il y avait surtout un problème de royalties derrière. Le passage inévitable de la cartouche au CD-ROM a tout de même pris dix ans mais n’a pas eu que des conséquences bénéfiques, entre l’arrivée des temps de chargement, la fin (dans un premier temps) des musiques dynamiques, et l’invitation pour les développeurs à multiplier les cinématiques pour occuper l’espace – la promesse de jeux « 400 fois plus grands » n’ayant pas fait long feu… Et puis musiques « de qualité CD » ne signifie pas forcément « de qualité » tout court, avec des compositions le plus souvent réalisées au synthétiseur bon marché. Enfin, le DVD est arrivé en 1995 pour offrir une alternative plus économique au LaserDisc, et l’apport par rapport à la VHS était pour le coup évident, à tous les niveaux. Or on ne peut pas en dire autant du Blu-ray qui peine à s’imposer…

Dire qu’on a regardé pendant longtemps des films là-dessus…
Peut-être aurait-il fallu proposer un changement plus radical… Mais le succès d’un support ne tient pas toujours à grand-chose. Les premiers magnétoscopes et les premières VHS coûtaient très cher, et la théorie selon laquelle le porno lui aurait permis de prendre le dessus sur le concurrent Betamax est très débattue. Ce serait plutôt la durée d’enregistrement, du moins au départ, qui aurait joué en dépit d’une qualité d’image inférieure. Le DVD, lui, offre une résolution standard (576i ou 480i) pleine, mais avec une compression MPEG2. À titre de comparaison, les DCP employés en projection numérique au cinéma sont au format MJPEG 2000, ce qui signifie que chacune des images du film (en 2K ou plus rarement en 4K) est compressée en JPEG, et c’est tout. Un long-métrage en français (donc avec une seule langue disponible) occupe ainsi plusieurs centaines de Go, alors qu’un DVD n’excède pas les 9 Go. Mais non seulement le son est de moindre qualité et la résolution bien inférieure, mais le MPEG2 offre une compression temporelle ; s’il y a peu de mouvements dans une séquence, la même image est répétée au lieu d’être dupliquée. C’est pourquoi certains plans fixes paraissent réellement « gelés » en DVD, et l’effet est parfois pire avec le Blu-ray qui est basé sur la compression MPEG4, qui a tendance à corriger de manière abusive, je trouve, la fixité du cadre. Je l’ai par exemple constaté dans le Blu-ray de La Nuit du Chasseur (1955), où dans certains plans rapprochés de Robert Mitchum on a parfois l’impression que la caméra a été fixée au comédien via un harnais façon Pogocam – à la manière des vidéos de Nicolas Hulot ou d’Antoine de Maximy si vous préférez… Cela pourrait bien entendu être lié à une restauration excessive, mais j’ai également constaté parfois cet effet dans des émissions de télévision, la TNT utilisant le même type de compression. Et j’ai du mal à croire que des techniciens professionnels utilisent les mêmes gadgets de stabilisation d’image que les caméras grand public, d’autant qu’ils n’en ont pas besoin. Évidemment, cela reste un problème mineur qui ne gênera pas ceux qui ne s’émeuvent pas non plus du fait que la compression est mauvaise pour la 3D…

Bien que le film ait été tourné en 3D, le Blu-ray 3D n’est pas inclus…
J’ai déjà eu l’occasion de l’expliquer ; le grain est toujours situé au niveau de l’écran. Le problème varie d’un film à l’autre, en particulier selon sa luminosité mais sans doute aussi du débit choisi pour l’encodage, et donc de la qualité de la compression. Et n’ayant jamais eu le problème au cinéma où, je le rappelle, la résolution est la même (1080 lignes), c’est sans doute la compression vidéo qui est en cause. On ne pourra hélas pas juger de l’apport de la 4K en la matière, les Blu-ray UHD ne gérant pas la 3D. À ce sujet, il faut préciser qu’un Blu-ray UHD n’offre que le double d’espace de stockage d’un Blu-ray classique, alors que la 4K occupe techniquement quatre fois plus de mémoire. L’astuce utilisée est donc d’avoir employé un nouveau codec MPEG4, passant du h.264 au h.265 ; la vidéo est donc encore plus compressée. Mais de toute façon, si les fabricants poussent au passage à la 4K, non seulement les caméras qui filment en 4K ne sont pas encore répandues – Netflix oblige les réalisateurs à tourner de la sorte dans ses productions par exemple – mais très peu de salles sont équipées pour projeter en 4K, notamment en France. Et même quand c’est le cas, comme les films occupent plusieurs centaines de Go, il est courant que les films soient en réalité upscalés, et il en est de même pour les Blu-rays UHD – ou la PlayStation 4 Pro qui n’affiche pas du 4K natif… L’image est bien entendu indéniablement plus fine, mais on est très loin d’une innovation qui justifie la différence de prix de l’équipement proposé… Et puis la résolution a tout de même moins d’importance pour un film que pour un jeu vidéo, la « modélisation » de la réalité étant parfaite ; même à l’époque de la définition standard ou de la VHS, on n’a jamais vu d’acteurs pixelisés, en tout cas pas en mouvement. C’était juste un peu flou…
Or dans le jeu vidéo justement, Nintendo est à la fois le constructeur qui est resté le plus longtemps à la cartouche pour ses consoles de salon, et qui ne s’en est jamais départi pour ses consoles portables, jusqu’à son hybride Switch. Du fait du statut ambigu de la console, l’utilisation de cartouches n’a pas choqué outre mesure, mais il est important de noter que cela a été possible car les cartes de jeu peuvent aujourd’hui aller jusqu’à 32 Go, contre 25 Go pour un Blu-ray simple couche, même si c’est le double couche (50 Go) qui est le standard pour le cinéma. Et puis cela diminue nettement les temps de chargement, tout en éliminant en partie la nécessité d’installer les jeux en mémoire interne ; les possesseurs de PlayStation 4 savent bien que chaque jeu installe souvent 50 Go sur le disque dur quand bien même le Blu-ray doit impérativement être présent dans le lecteur pour jouer, histoire d’éviter le piratage. Mais de même que Netflix et Cie supplantent peu à peu le Blu-ray pour la vidéo, le dématérialisé et le cloud gaming prennent de plus en plus d’importance dans le jeu vidéo. Le jour où tout le monde disposera d’une connexion internet de type fibre optique, il deviendra de moins en moins pertinent d’acheter des galettes pour tout transférer sur disque dur au final…

Une carte Switch est bien plus petite qu’un Blu-ray mais contient presque autant de données…
Néanmoins, il y a chez les gamers comme chez les cinéphiles une nostalgie du support physique, ne serait-ce que parce qu’une étagère remplie de jolis boîtiers est plus photogénique que des répertoires virtuels sur un menu de console de jeu. Mais autant les cartes ont encore un avenir dans les jeux vidéo, autant elles n’ont pas encore été employées dans le domaine du cinéma. C’est peut-être lié à la fétichisation du LaserDisc pour les cinéphiles amateurs de high tech, mais c’est aussi, à mon avis, encore une fois une question d’habitude. Il faut dire que pendant longtemps, le support cartouche a été cher à fabriquer comparativement au disque optique, et même si ce coût n’a cessé de baisser et que l’espace de stockage offert a augmenté en même temps, le disque a lui aussi amélioré sa capacité, passant du CD-ROM au DVD puis au Blu-ray. Mais comme on l’a dit, ce dernier commence à atteindre ses limites puisque l’on joue plus sur la compression que sur la capacité et, pendant ce temps, le coût de la mémoire flash NAND, utilisée aussi bien pour les cartes SD que les cartes de jeu, a baissé à vitesse grand V. Mais surtout, il ne faut pas oublier que le coût de production, outre les économies d’échelle (un format propriétaire coûte toujours plus cher) est aussi lié à la miniaturisation de l’objet. Combien coûterait par exemple une carte SD de la taille d’un Blu-ray ?
J’avais essayé de créer un tableau en comparant les coûts des différents modèles de cartes, mais le résultat n’est pas franchement très intéressant. Déjà, les seules données que l’on a sont les prix de vente et non les coûts de fabrication, et les tarifs varient parfois du simple ou double d’un fabricant à un autre, d’autant que la vitesse de lecture entre désormais en ligne de compte également. Et puis les cartes micro-SD ne sont tellement généralisées qu’elles coûtent désormais le même prix ou à peine plus cher que les cartes SD. Du coup, ma carte fictive de 12 cm coûtait soit le même prix, soit ne coûtait rien du tout – à supposer que le prix est une fonction linéaire de la taille, alors qu’elle est sans doute plus logarithmique, mais il faudrait d’autres valeurs intermédiaires pour extrapoler les courbes… En tout cas, je reste toutefois convaincu que l’on pourrait sans problème commercialiser des cartes de la taille d’un Blu-ray et au même prix, ayant au pire la même capacité, mais au mieux pourraient permettre de proposer des films nettement moins compressés, avec une qualité plus proche de ce qu’on a au cinéma. Mais pour qu’un tel support soit rentable, il faudrait hélas qu’il soit aussi répandu que le disque optique, et on se retrouve dans le paradoxe de la poule et de l’œuf. Et parce qu’on a pris « l’habitude » d’un support inadapté, on est à jamais coincé avec.