Ce titre d’article peut ressembler à une tautologie, mais je ne parle pas ici de magie au sens large, mais bien d’illusionnisme ou de prestidigitation. Certes, on peut se dire que dans le monde cynique dans lequel on vit, où des choses aussi incroyables que l’élection d’un clown à la tête des États-Unis sont possibles, il est normal que ce genre de discipline périclite. Mais le souci est qu’elle n’a pas disparu mais qu’elle a évolué, ou plutôt s’est faite remplacer par des escroqueries comme la grande mode de l’hypnose. Pour raccrocher les wagons à mon train (hum), c’est un peu le même drame que lorsque la 3D se démocratise en salles mais que la conversion remplace insidieusement la 3D native jusqu’à sa disparition quasi totale… Il faut dire qu’aujourd’hui, on ne voit de la magie que chez Michel Drucker et Patrick Sébastien, voire sur Internet – hélas avec l’aide d’effets numériques parfois. Et ce n’est pas qu’une question d’avoir perdu son âme d’enfant. Même si on sait qu’il y a un truc et qu’on parvient à le trouver, un tour bien exécuté reste bluffant, comme un plan-séquence réglé au millimètre au cinéma, ou quand un catcheur prend un risque inconsidéré. Car si le but de la magie est de nous surprendre, quitte à nous induire en erreur, ce n’est pas de nous escroquer.
Il y a quelques années, j’ai découvert le génial James Randi, un magicien par ailleurs très talentueux, qui a toutefois interrompu sa carrière en 1976 pour démystifier et dénoncer les pseudo-sciences et le paranormal (médiums, prédicateurs, guérisseurs et Cie), tous ces charlatans qui se font avant tout de l’argent sur la naïveté des gens. Cela fait aussi pas mal de temps qu’il met en garde sur les dangers de l’homéopathie, en passant. Hélas, comme on peut le voir dans les nombreux documentaires à son sujet, sur le web ou Netflix, il reconnaît lui-même que son combat est vain d’autant qu’il passe souvent pour le méchant de l’affaire. En ces temps troublés où la science a presque tout résolu et où l’on a l’impression qu’il ne reste plus de place pour le merveilleux, les gens ont plus que jamais besoin de croire, avec les dérives qu’on connaît. Ainsi, beaucoup d’escrocs finissent par refaire surface parce que forcément, expliquer à une vieille dame démunie que son cancer ne peut pas être guéri par un prédicateur grâce à l’amour de Jésus, c’est délicat. Mais sans tomber dans ces extrêmes, il y a déjà un pan de la magie traditionnelle qui n’est pas franchement glorieux. Je veux parler de la « street magic » démocratisée par David Blaine et Criss Angel à la fin des années 1990.
Délicieusement parodiée par une célèbre série de vidéos ou par Jim Carrey dans L’Incroyable Burt Wonderstone (2013), cette tendance ravive en apparence la magie de rue des temps anciens, ou au moins le style du close-up souvent bien plus impressionnant, car reposant sur l’adresse pure, que les grandes illusions du début des années 1990 popularisées par David Copperfield. Malheureusement, dans la pratique, on se rend souvent compte qu’il s’agit de sketches réalisés avec des complices ; le concept n’est pas nouveau dans la magie, mais les tours reposent tellement dessus qu’ils en perdent tout intérêt. Et puis la surenchère dans le gore a même mené à l’utilisation embarrassante d’effets spéciaux. Je suis tombé un jour sur une vidéo que je n’ai pas envie de retrouver, où des gens vaquant (soi-disant) à leurs occupations dans un parc voyaient leurs corps coupés en deux ou échangés, et s’enfuyaient en poussant des cris de terreur ! Mais bien sûr… Sauf que tout cela était mis en scène et monté plutôt qu’en un seul plan-séquence, trahissant immédiatement le fait qu’on regardait plus un court-métrage horrifique bien glauque qu’un quelconque tour de magie. Cela dit, ça a le mérite au moins de demander un minimum de travail, et une certaine maîtrise technique.
Or ce genre-là étant sans doute déjà tombé en désuétude, David Blaine est passé à un cran au-dessus dans l’inanité. Récemment, je suis tombé par hasard sur une vidéo où il piège l’actrice Margot Robbie. Pour résumer, il se contente de deviner un mot qu’elle lit sur un smartphone – même pas le sien. Alors certains se sont lancés dans des explications complexes, impliquant un téléphone truqué, des oreillettes et tout le tralala. Hélas, je pense que c’est beaucoup plus simple. Le tour a sans doute été réalisé au moment de la promotion de Suicide Squad, et il s’agit juste d’un échange de bons procédés. Blaine fait des vues en invitant une star de cinéma dans son émission, et l’actrice joue en retour la comédie – c’est un peu son métier – en faisant semblant d’être sur le cul. Autrement dit, même si la street magic relève plus de l’art audiovisuel que de la magie, cette fois on est carrément dans le marketing. Et c’est loin d’être un cas isolé, puisque c’est le même principe que l’on retrouve actuellement dans la mode populaire des hypnotiseurs, omniprésents sur les plateaux télé et pas n’importe lesquels : ceux de Cyril Hanouna, Arthur et Cie. C’est-à-dire les émissions où l’on se soucie plus de cerveau disponible et de revenus publicitaires que de l’honnêteté intellectuelle.

Ah que coucou…
Je me fiche bien qu’une psychiatre affirme que Messmer ne triche pas. Certes, l’hypnose existe dans le cadre médical, et Éric Normandin de son vrai nom a pu la pratiquer, mais elle n’a rien à voir avec ce que l’on montre à la télé. Même les scientifiques les moins sceptiques pensent que Messmer choisit bien ses « victimes », certaines personnes étant plus facilement influençables que d’autres. Or il est déjà bien louche que cela fonctionne aussi bien et sur tout le monde sur les plateaux de télé, même avec une présélection ou quelques coupures au montage – le public pourrait alors témoigner des échecs. Mais de toute façon, si on pouvait pousser quelqu’un à commettre un braquage ou un meurtre, ça se saurait, et les hypnotiseurs pèchent comme les magiciens de rue par leurs excès et une surenchère dans le n’importe quoi. Comme pour Margot Robbie, il est quand même bien commode que les gens piégés soient des acteurs ou des animateurs, c’est-à-dire des gens avec des dispositions pour la comédie. Matthieu Delormeau a même révélé la supercherie, pour moi, quand il a été convaincu d’être Johnny Hallyday. Il s’est en effet mis à imiter le chanteur alors que ce dernier, a priori convaincu de sa propre identité, n’a pas besoin de s’imiter pour être lui !
Et puis après tout, combien d’animateurs télé font une seconde carrière dans le cinéma ? Je pense que Matthieu Delormeau a juste sauté sur l’occasion pour étoffer son portfolio d’acteur-imitateur, et faire rigoler les spectateurs tant qu’à faire puisque cela reste une émission de divertissement quoi qu’on en pense. Alors bien sûr, on peut se dire que si c’était truqué, la vérité serait dénoncée au grand jour. Mais tout le monde est gagnant dans l’affaire. Ce genre de spectacle navrant cartonnant en termes d’audience, ses participants n’ont aucun intérêt à dénoncer la supercherie et je suis même prêt à parier qu’ils ont signé un contrat les engageant à tenir le secret ; Messmer serait sacrément dans la merde si tout le monde réalisait qu’il n’était qu’un type demandant à des comédiens de faire les pitres sur scène. Et comme il doit bien gagner sa vie, il doit pouvoir acheter aussi le silence. Quant à ceux qui pourraient vraiment enquêter sur le sujet, ils s’en fichent tout simplement. Ils ne regardent sans doute pas ce type d’émission de toute façon et, après tout, il n’y a pas mort d’homme et on ne peut même pas vraiment parler ici d’escroquerie comme pour un guérisseur ou un voyant.

Je crois que ça fonctionne… Je vois deux grosses bourses de pognon apparaître dans ses mains…
Mais c’est bien ce qui me déprime, au fond. Je veux bien croire que les spectacles sur scène de Messmer aient un peu plus d’authenticité, surtout qu’ils vont sans doute beaucoup moins loin dans le délire. Et évidemment, je comprends bien que si l’on y croit, c’est forcément impressionnant. Mais quand on sait que ce sont des complices, et j’en suis fermement convaincu, cela n’a plus beaucoup d’intérêt pour moi. Cela se résume au talent de comédien des personnes impliquées et on est plus près du happening promotionnel que de la magie. J’en reviens encore une fois aux magiciens de close-up. Bien entendu que, avec une certaine expérience, on devine à quel moment la balle change de main ou la carte est glissée dans la manche. Mais les prestidigitateurs ont une telle maîtrise que même si leurs postures sont parfois étranges, je n’arrive toujours pas à comprendre, avec mes petites mains à la Trump, comment ils arrivent à cacher une carte à jouer aux dos des leurs. Cette habileté demande des années d’entraînement, et ne rapporte sans doute pas grand-chose, juste quelques piges chez Drucker ou Sébastien. Pendant ce temps, des nigauds se font un fric fou avec des tours reposant uniquement sur leurs comptes en banque et la cupidité des gens de télévision…