Cela fait trois mois que je n’ai pas publié d’article ici et, même s’il me reste encore deux courts-métrages à exhumer, je voulais reparler de jeu vidéo pour changer puisque mon dernier (court) texte sur le sujet remonte à plus de deux ans. Hélas, je vais en partie retomber dans mon travers habituel de me répéter, car je me suis rendu compte qu’un des tout premiers articles mis en ligne sur ce blog était consacré à Alan Wake’s American Nightmare (2012), ce qui m’évitera au moins de revenir dessus et même de passer plus vite sur Alan Wake (2010)… En effet, j’ai récemment fini l’édition « Ultimate » de Control (2019) et, même si j’estime que c’est le meilleur jeu à ce jour de Remedy Entertainment, cela ne m’a pas vraiment réconcilié avec le studio finlandais. Au moins, on ne peut pas nier qu’il ait une patte d’auteur, à laquelle on adhère ou pas. Néanmoins, il me semble que certaines faiblesses sont plus objectives (et d’ailleurs largement relevées), et de la part d’une société qui comptait 260 employés en 2020 et qui a au moins cinq titres en développement, je pense qu’il y a urgence à y remédier. Je reste très attaché à une phrase du cinéaste Nicolas Saada, du temps où il était critique : « L’art ne réside pas dans l’intention mais dans l’exécution ». Si l’on jugeait uniquement les créations sur leurs concepts d’origine, il y aurait quand même énormément de chefs d’œuvre – je vous garantis que le pire des tâcherons essaie presque toujours de faire de son mieux, même pour une commande. Or pour moi, Remedy est l’archétype du studio surcoté, précisément parce qu’il ne semble jugé que sur ses idées de départ, souvent fortes et originales, mais qui seraient (à mon avis) bien mieux exploitées entre de meilleures mains…
Boulette time
Ayant toujours été un joueur console, j’ai rarement disposé d’un PC à la pointe et hormis la génération « PS360 » marquée par une certaine harmonisation avec les consoles, j’ai souvent joué aux exclusivités PC sur le tard. Ce qui m’a amené à théoriser mon « cycle des jeux PC » (inspiré par celui des jeux Sonic) selon lequel, chaque fois que je découvre enfin un titre avec lequel les PCistes me rabattaient les oreilles quelques années plus tôt, je suis horriblement déçu. Et quand je leur demande des comptes, ils se défaussent en arguant que c’est un « vieux jeu », ce qui ne fait que prouver que les développeurs occidentaux misent trop sur la technique au détriment du gameplay. Les titres japonais sont certes moins ambitieux en général, mais ils ont l’avantage de mieux vieillir… Cela dit, je pense avoir joué à Max Payne (2001) peu de temps après sa sortie, mais il se trouve que son concept se décatit en moins d’une heure. Comme souvent avec les « classiques » de ce type, c’est le premier niveau, correspondant à la démo, qui est très soigné et en l’occurrence assez jubilatoire, avec ses plongeons et son bullet time novateurs à l’époque et qui ont d’ailleurs fait école. Mais passé ce stage en pleine rue, le bac à sable disparaît au profit de couloirs et salles plus étriqués…

Mais avant d’aborder le gameplay, parlons enrobage puisque le studio a toujours cherché à faire « cinéma » – autrement dit l’une des recettes du désastre les plus habituelles dans toute l’histoire du jeu vidéo. Déjà, je n’ai jamais compris comment on pouvait prendre au sérieux ce scénario qui se veut sombre, avec un protagoniste arborant la tronche de cake de Sam Lake (Sami Antero Järvi de son vrai nom). Mais ça ne s’arrête pas là puisque, plutôt que de s’inspirer du film noir comme il le prétend, le jeu est davantage influencé par le roman graphique américain à la Frank Miller, qui se veut sombre et mature mais qui est plus souvent stéréotypé et puéril… Je me doute que les fans du jeu ne peuvent pas l’encadrer, mais Anita Sarkeesian a très bien expliqué comment le trope de la bien-aimée massacrée n’est pas moins sexiste que celui de la princesse à délivrer, et le bébé n’ajoute rien hormis une cerise réactionnaire sur le gâteau revanchard. Ce qui ne serait pas si gênant si c’était bien fait mais, comme on le constate ci-dessus, les cinématiques ressemblent plus à un roman photo retouché réalisé dans les locaux de la boîte. Et la sempiternelle femme fatale ressemble à Amélie Poulain avec un flingue à la place de la cuillère – Max oublie bien vite sa femme en passant !
Après, le doublage français, qui était du reste souvent abominable à l’époque, n’arrange rien comme on peut le vérifier en vidéo ci-dessous… Tout n’était d’ailleurs pas à jeter dans cette direction artistique inégale et les bruitages étaient assez réussis ; j’ai toujours soupçonné celui d’une balle dans la tête, avec son bruit d’os broyé caractéristique, d’avoir été « emprunté » à la mort de Sean Penn dans L’Impasse (1993) par exemple. Néanmoins, le gros problème de Max Payne (2001) demeure son gameplay, avec deux tendances récurrentes chez ce développeur : la répétitivité et l’équilibrage aléatoire de la difficulté. Dans chaque salle, on fait face à de nombreux ennemis qui vident notre jauge rapidement si l’on reste immobile, alors on prend vite de pli de la même routine (ouverture de porte, plongeon au ralenti) ad nauseam. Mais ce qui empire ici les choses, c’est que Remedy Entertainment a voulu expérimenter une difficulté adaptative. Or là où un Resident Evil 4 (2005) le fera assez intelligemment certes quelques années plus tard (le contenu des caisses dépend de l’état de l’inventaire du joueur afin qu’il soit toujours « limite »), le système est ici intrinsèquement cassé du fait que l’on peut sauvegarder à tout moment – comme souvent sur PC. Car si vous avez tendance, comme moi, à recharger votre partie dès que vous êtes touché de peur de manquer de painkillers, le jeu va croire que vous êtes sans cesse plus forts et la difficulté va vite devenir infernale.
Chouine Peaks
Ayant fait l’impasse sur Max Payne 2: The Fall of Max Payne (2003), mais pas sur le troisième épisode que j’ai bien plus apprécié mais qui (parce qu’il ?) n’est pas développé par le même studio, je n’ai retrouvé Remedy Entertainment que bien plus tard, pour Alan Wake (2010). Je n’avais pas oublié ma déception précédente, mais comme il s’agissait d’un survival horror, genre dont je suis nettement plus client, j’ai voulu lui laisser une seconde chance. Hélas, comme je l’explique dans mon article consacré à son spin-off nettement plus convaincant au risque de trahir complètement la philosophie de l’original, je n’ai pas été séduit. J’avais apparemment bien aimé la fausse série live Night Springs, mais parce qu’elle apparaissait dans de petits écrans de TV contrairement aux embarrassantes cinématiques de la suite. Mais l’ensemble était une énième allégorie du pouvoir de création qui dépasse son auteur, rendant tout très classique et prévisible pour quiconque a lu ou vu un minimum d’œuvres horrifiques. Surtout que, autre problème récurrent avec ce développeur, le recours à une voix off intérieure omniprésente et explicative affaiblit énormément la moindre once de mystère.
Mais encore une fois, tout cela n’aurait pas été gênant si le gameplay, entièrement centré sur la seule mécanique de devoir éclairer ses cibles pour pouvoir les blesser, n’en faisait pas un jeu extrêmement répétitif. Ce qui le rendrait très ennuyeux s’il était trop facile, mais sa difficulté une nouvelle fois aléatoire (tantôt on enchaîne les ennemis sans dommage, tantôt on se retrouve encerclé et on meurt en quelques secondes) le rend plutôt frustrant. Et les à-côtés n’arrangent rien, puisque la quête des feuilles de manuscrit est bien mieux exploitée dans Alan Wake’s American Nightmare (2012), d’autant que l’environnement ouvert se prête mieux à la recherche – quitte à ajouter un radar très « vidéoludique ». L’original présente en outre ce qui est peut-être la quête de « collectible » la plus nulle de l’histoire des jeux vidéo, puisque l’on doit trouver des thermos toutes identiques, et planquées de manière assez inintéressantes vu le level design majoritairement présenté en couloir. Autant dire que je n’ai pas calculé Quantum Break (2016) d’autant que c’était une exclusivité Xbox. Si la presse semble avoir apprécié le gameplay (mais puis-je lui faire encore confiance à ce stade ?), l’aspect transmédia couplé à une série TV au déroulement semi-interactif n’a pas l’air d’avoir convaincu…

She’s Lost Control Again
À la sortie de Control (2019), mon PC était devenu trop vieux et j’avais dû entendre dire qu’il ne tournait pas si bien sur console, mais j’avais gardé un œil dessus car il avait bonne réputation. Et la direction artistique semblait pour le coup très réussie entre ses décors, ses costumes et même son usage de la typographie. Après avoir songé à le faire sur Switch via le cloud, je l’ai finalement pris en solde sur mon nouveau PC, une fois avoir pu trouver une carte graphique correcte à un prix raisonnable. Ce qui n’empêche pas le jeu de présenter des freezes et divers bugs sur ma config, quoique plutôt durant les cinématiques en temps réel. Mais ce sont deux autres choses qui m’ont refroidi d’emblée… Je savais certes que le jeu était totalement « physiqué » et cela occasionne du reste des affrontements assez souvent jouissifs mais, depuis que le moteur Havok est de l’histoire ancienne, j’ignorais qu’on pouvait encore voir tout le contenu d’une table valdinguer dès qu’on a le malheur de la frôler. Cependant, c’est surtout la narration qui m’a vite gonflé, d’autant qu’elle est omniprésente au début entre les diverses cinématiques live ou avec le moteur du jeu (avec un écart visuel assez grand entre les deux, en plus), des dialogues interminables et là encore ponctués par la voix off de l’héroïne qui commente tous les échanges… Ce qui va franchement à l’encontre d’une nouvelle tentative d’ésotérisme à la Lynch (cité avec « it’s happening again » par exemple).
Car au lieu d’aller à fond dans l’onirisme et le mystère, de laisser le joueur imaginer les choses, tout est expliqué avec beaucoup de maladresse, ou au mieux un second degré façon « on a bien conscience que c’est un jeu vidéo » un peu balourd. Déjà récemment, j’avais zappé la plupart des nombreux textes ramassés dans les excellents Dishonored – pourquoi aurais-je envie de lire, une page à la fois et dans le désordre, l’extrait d’un roman fictif ? – et là je n’ai rien lu ni écouté, pas même les petits sketches de scientifiques ou la série de marionnettes pour enfants. J’ai conscience que cela représente un travail énorme et que Sam Lake doit en être très fier, mais si ce n’est pas indispensable pour finir le jeu, je n’ai juste pas le temps… Et puis au final, toutes ces velléités arty cachent une nouvelle fois une allégorie assez basique, l’épiphanie finale se réduisant pour l’héroïne à accepter qu’elle est la gentille et doit éliminer les méchants. On est très loin de l’ambivalence morale d’un Lynch. Il y a certes de l’humour, parfois bien débile, mais ça manque de vraie folie, en particulier les décors qui ne se risquent que de trop rares fois à une salle distordue ou des changements de gravité… Une fois qu’on a compris comment elles marchent (j’ai passé un temps fou sur la première), les séquences à l’hôtel sont amusantes quoique inégales, avec des « énigmes » parfois juste débiles.

Et derrière tous les effets visuels, avec une image qui scintille de partout même sans ray tracing, on se rend compte que la modélisation des personnages est un peu loupée, surtout qu’elle est basée sur de vrais comédiens. L’héroïne a les yeux trop clairs – l’éclairage était peut-être trop fort au moment de la numérisation – et semble porter une perruque, quand certains personnages comme l’insupportable concierge à les cheveux qui flottent au vent inexistant… Au moins, quand il y a des bugs durant les dialogues (héroïne qui glisse sur le sol ou se met à loucher), c’est rigolo. Mais au final, c’est encore une fois le gameplay qui se révèle bien bancal et rend le reste d’autant plus irritant. Au départ, j’étais plutôt optimiste car avec plusieurs pouvoirs (qu’on obtient graduellement) et armes évolutives, cela pouvait s’annoncer moins répétitif ; Quantum Break (2016) semblait déjà être allé sur la bonne voie en la matière. Mais hélas, c’est encore la partie équilibrage de la difficulté qui est abominable… Certes, j’ai beaucoup boosté la télékinésie, mais il me semble anormal de tuer la plupart des ennemis avec un seul ou deux lancers, quand je galère avec les armes à feu même améliorées. Et comme certains ennemis esquivent les objets ou qu’on peut se retrouver sans énergie…
En outre, avec le système de points de vie laissés par les ennemis vaincus, on oscille constamment entre les cercles vertueux et vicieux. Parfois, on enchaîne les éliminations et on reprend sa santé à peine perdue, mais assez souvent mine de rien, une faute d’inattention et notre jauge de vie est vidée quasi instantanément. Dans le bordel des fusillades qui désintègrent le décor, difficile d’attraper cette roquette que l’on repère uniquement au son, ou de remarquer cet ennemi volant (ou ce foutu « touriste » carrément invisible) dont une seule attaque vide quasiment toute la jauge. On a alors quelques instants pour repérer et foncer vers des points de vie au sol, notre vue en plus assombrie par le sang, en espérant ne pas se prendre une simple balle perdue en chemin – ce qui arrive très fréquemment. C’est alors le retour au checkpoint, parfois éloigné, et il faut en général tout refaire avec une pénalité d’argent en prime. Comme dans Max Payne (2001), il faut être constamment mobile, et si voler permet de tenir certains ennemis à distance, ça nous rend aussi plus exposé… Et preuve que c’est mal réglé, il m’est arrivé de faire des missions secondaires « express » dans lesquelles le niveau des ennemis était si bas par rapport au mien que c’était beaucoup trop facile, puisque je les tuais en un coup et qu’ils ne me faisaient quasiment pas de dégât (ce qui n’est pas très réaliste).

On sent le game design qui croule sous l’accumulation de paramètres (puissance d’une attaque, rapidité et coût en énergie donc fréquence…), rendant le jeu sans doute très difficile à équilibrer puisque le moindre changement d’équipement modifie tout. À ce sujet, si le principe des modules est sympa au départ, cela devient du grand n’importe quoi dans la dernière partie du jeu avec des items qui, par exemple, boostent les attaques au corps-à-corps quand vous recevez des dommages d’explosions – le genre de bonus qui n’a d’intérêt que si on peut en équiper autant que l’on veut, ce qui est très loin d’être le cas. Et difficile de ne pas utiliser deux des trois slots pour booster la santé quand on voit la taille ridicule de la jauge… Du reste, le système de crafting est foireux parce que les matériaux se trouvent dans des zones spécifiques, mais il faut en posséder au moins un de chaque pour savoir où. Et c’est sans compter l’une des pires cartes de l’histoire du jeu vidéo – je pèse mes mots. Surtout que l’on ne peut consulter que celle de l’étage courant, si bien que ce n’est qu’à la toute fin du jeu que j’ai réalisé que l’on pouvait se téléporter à un autre étage (<insérer une émoticône de facepalm>)…
Alors bien entendu, cela peut se passer très bien, quand on envoie un extincteur faire valdinguer un groupe, qu’on retourne un sniper dans son camp et que l’on sort au bon moment son bouclier – à travers lequel on ne voit hélas pas grand-chose, et qui ne vous protège que de face alors les coups les plus dangereux viennent d’ailleurs, bien entendu… Et peut-être même que ça passe bien la majorité du temps mais, que voulez-vous, j’ai tendance à me souvenir davantage des situations les plus horribles, comme la plupart des gens. Combien de fois suis-je mort parce que j’ai été bloqué par un petit élément de décor m’empêchant d’atteindre ces points de santé, ou parce que je suis tombé dans un trou qu’il est impossible de voir (et d’en remonter) ? Peut-être une dizaine de fois seulement, mais ça suffit pour tout gâcher. Je n’ai même pas insisté après avoir enfin terminé le premier défi de la borne d’arcade qui n’en est pas une (et j’ai failli mourir plein de fois), je n’ai fait que la première difficulté du jukebox qui est déjà atroce (quatre missions à la difficulté bien aléatoire à réaliser en temps limité), et j’ai carrément basculé en mode immortel pour le boss final de l’étage supplémentaire…

Et c’est vraiment très dommage car les premières rencontres avec cet ennemi sont très intéressantes, davantage orientées réflexion que bourrinage. Mais au dernier affrontement, il passe son temps à se téléporter juste à côté de vous, et à balancer de manière assez imprévisible des attaques qui vident quasiment votre santé. Il est certes possible de se mettre à l’abri mais les collisions ne sont pas très fiables (faute d’un vrai système de couverture), et on peut utiliser son bouclier… à condition d’avoir assez d’énergie. Car le bougre éteint régulièrement la lumière, ce qui vous empêche d’en récupérer, or vous devez précisément utiliser vos pouvoirs pour la rétablir. C’est aussi à ce moment-là qu’arrivent des ennemis, qui vous permettront certes de récupérer (un peu) de santé mais qu’il faudra donc souvent éliminer uniquement avec vos armes à feu – celles-là même qui sont très inefficaces contre eux si vous m’avez bien lu. Ah, et il faut en plus se dépêcher (sans pouvoir utiliser le dash) car le boss reprend lui toute sa vie pendant ce temps… D’ailleurs, heureusement que je n’ai pas désactivé l’immortalité juste après l’avoir vaincu car votre succès est « célébré » par des soldats volants qui vous encerclent et vous tuent en quelques secondes. En comparaison, le vrai boss final est enfantin. Bref, c’était la dernière fois que je faisais un jeu de Remedy Entertainment.
Test
Je ne reviens pas sur tes arguments parfaitement étayés mais je regrette que tu aies une de mauvaises expériences.
Après, je te trouve un poil dur avec eux.
De mon côté, j’aime beaucoup leur maitrise de la DA, des personnages principaux et de la narration pour mettre une vraie ambiance
Après il est vrai que je n’ai pas refait les Max Payne depuis leurs sorties 🙂