Si tout le monde s’accorde à peu près sur les films relevant de l’Elevated Horror, en tout cas sur ceux qui ont fait naître ce terme comme ceux d’Ari Aster (Hérédité), Robert Eggers (The Witch), Jordan Peele (Get Out) et Jennifer Kent (Mister Babadook), noms qui sont d’emblée cités dans cet article, il reste à mon avis un certain flou sur ce qui les caractérise (ambition formelle, thématique ou les deux), et surtout leur appréciation varie beaucoup… Y compris au sein des mêmes individus, qui utilisent parfois le terme comme repoussoir tout en adorant certains représentants du genre. En tant que lecteur de longue date des Cahiers du cinéma, j’ai forcément été intrigué par leur manière de l’accueillir. Mais bien évidemment, c’est un peu compliqué car la rédaction de la revue compte des personnalités aux goûts parfois très variés. Et il lui est arrivé maintes fois de passer à côté d’un phénomène, quitte à prendre le train en marche de manière parfois un peu gênante comme avec The Matrix. Ainsi, s’ils ont immédiatement suivi Peele, ils ont totalement zappé Hérédité (2018) avant de se rattraper en consacrant une grosse critique à Midsommar (2019). Ils n’en ont dédié qu’une courte, plutôt sévère, à The Witch (2015), et si les films suivants de Robert Eggers ont bénéficié de plus de place, les avis étaient plutôt (très) mitigés… Mais globalement, ils ont souvent ignoré ou trouvé surestimés la plupart des succès commerciaux du genre, comme It Follows (2014) – l’un des plus « anciens » mine de rien. Du moins l’un des premiers de cette tendance pas si nouvelle.
Dans l’article mentionné plus haut, il est question de cinéastes qui ont débuté dans le genre du cinéma d’horreur avant de s’en éloigner au fur et à mesure qu’ils ont obtenu une reconnaissance internationale, comme David Cronenberg. Ce qui est du reste le cas de nombreux réalisateurs, surtout si on élargit au « film de genre ». Et on trouve finalement un phénomène commun à toutes les (sous) cultures populaires, comme le rap par exemple. Dans les années 1980, les lecteurs de Starfix et autres Mad Movies étaient frustrés que le cinéma d’horreur soit méprisé par la critique généraliste et, maintenant qu’elle commence enfin à s’y intéresser (par le simple jeu du renouvellement des générations), ils ont l’impression d’en être dépossédés. Il n’y a toutefois pas grand risque à mon humble avis, puisque Télérama continue de noter la plupart des films de genre sur deux T (un seul auparavant), et Ari Aster a dû lui aussi s’éloigner de l’horreur pour être en compétition à Cannes… Néanmoins, après l’enthousiasme initial de voir arriver de nouveaux cinéastes et surtout des films d’horreur plus ambitieux, il y a clairement un retour de bâton et beaucoup de films se font démonter pour leur côté prétentieux. Dans le même temps, on loue des films plus régressifs comme la série des Terrifier et, comme n’importe quelle série est aujourd’hui très gore, il faut aller dans un certain niveau de dégueulasserie pour se faire remarquer. Et justement, jusque dans les Cahiers du cinéma, le deuxième volet a très nettement été érigé par Yal Sadat en rempart à l’Elevated Horror.
Je crois que c’est d’ailleurs le même qui avait demandé son avis sur la tendance à John Carpenter, qui visiblement n’en avait pas entendu parler, mais dont le terme même lui avait inspiré une mine de dégoût. Certes, il y a quelque chose d’oxymorique à vouloir « élever » le genre underground par nature de l’horreur. Et pourtant, c’est bien ce que Carpenter a lui-même essayé de faire. Il a d’ailleurs admis avoir choisi de filmer ses séries B en cinémascope pour leur donner un cachet. Après tout, en fan d’Howard Hawks, il a tout simplement cherché à faire des films d’horreur à la manière de classiques du western. Sans remonter jusqu’à l’époque de Nosferatu (1922) quand il n’y avait pas encore de division arbitraire entre films d’horreur et grands films, c’est sans doute Alfred Hitchcock qui, avec Psychose (1960) en particulier, a sublimé un fait divers sordide avec une indéniable maestria visuelle. Car il est tout de même important de rappeler qu’à l’époque, il était perçu comme un cinéaste commercial, et ce sont d’ailleurs les Cahiers du cinéma qui ont suggéré l’idée qu’il soit un auteur – cela m’a d’ailleurs bien amusé quand une écrivaine que j’avais interviewée le présentait comme « l’auteur par excellence » alors que ça n’avait rien d’évident de son vivant… Vingt ans plus tard, Kubrick a posé une autre pierre angulaire de l'(Elevated) Horror avec Shining (1980), que Carpenter déteste en passant, et qui appliquait son style monumental à l’horreur.
Et si Brian de Palma reste mon cinéaste préféré, c’est sans doute qu’en grand disciple de Hitchcock, il a constamment cherché à élever l’horreur au rang d’art noble, en filmant des thrillers, souvent mêlés d’érotisme en plus, avec l’élégance d’un Antonioni. Le réalisateur était d’ailleurs naturellement la pierre angulaire d’un petit « club dans le club » que j’avais organisé quand je m’occupais du ciné-club de ma résidence étudiante, et que j’avais appelé FFF pour « faux faux films », c’est-à-dire des films qui ont l’air de nanars au premier abord – de Palma a toujours adoré les entrées en matière trompeuses (Carrie, Blow Out, Body Double) – mais cachent en réalité des films bien plus profonds à condition de faire l’effort de s’y plonger. Néanmoins, c’est sans doute parce qu’il n’a pas assez quitté le genre (ou du moins a connu quelques échecs injustes quand il l’a fait) qu’il n’a jamais eu la reconnaissance de ses amis Coppola ou Scorsese, alors que sa maitrise formelle est tout aussi grande – voire plus. Du reste, si de Palma est plutôt critiqué pour ses sujets, ses scénarios aux rebondissement alambiqués ou sa direction d’acteurs, peu de gens lui reprochent d’abuser des demi-dioptries ou des plans-séquences – ce qui serait un sacré comble par les temps qui courent.
En outre, si l’Elevated Horror est sans doute née au milieu des années 2010 sous ce nom-là, son précurseur le plus direct est peut-être un autre de mes cinéastes préférés, M. Night Shyamalan. N’oublions pas qu’après un gros succès commercial grâce aux vidéo-clubs dans les années 1980, l’horreur a en quelque sorte été affaiblie par sa propre réussite, les films devenant de moins en moins effrayants et misant de plus en plus sur les effets spéciaux. Et puis les cinéastes populaires du genre ont soit connu une traversée du désert plus ou moins prononcée (Carpenter, Argento, Dante), soit s’en sont éloignés pour connaître enfin une reconnaissance plus large (Cronenberg, Raimi). Les années 1990 ont donc été marqués par l’essor du second degré, porté par le succès de la saga Scream. Et comme tous les phénomènes commerciaux, il a sans doute charrié plus de mauvais films que de vraies réussites… Or c’est justement en revenant au premier degré, en exigeant même du spectateur un effort de croyante parfois difficile, que Shyamalan a ravivé le cinéma d’horreur (au sens large, certes, dans son acception anglo-saxonne de thriller, disons). Et là encore, si le grand public n’a surtout vu que les twists de ses scénarios, son réel apport a à mon avis été la précision de sa mise en scène. Encore aujourd’hui, tandis que même des grands cinéastes comme Paul Thomas Anderson filment presque tout « à l’épaule » (ou du moins au steadicam), Shyamalan devient l’un des rares à Hollywood à encore croire aux plans découpés au millimètre.
Car oui, même si je l’ai sans doute déjà écrit il y a peu dans mon article sur le storytelling (que j’ai momentanément retiré pour en ressortir une version enrichie prochainement), je donne bien plus d’importance à la mise en scène qu’au scénario, et pour moi c’est ce qui fait toute la différence entre la bonne et la mauvaise Elevated Horror. Car au fond, même ceux qui dénigrent cette tendance aiment sans doute certains de ses représentants (comme on l’a vu avec les Cahiers du cinéma) et utilisent uniquement le terme pour qualifier les mauvais exemples. Fred Simon, lui, choisit de distinguer ces derniers avec un autre mot, plus péjoratif (je le cite en exemple car il se trouve qu’on en a parlé hier). Moi-même, je trouve plusieurs films de la mouvance assez surestimés, comme La Main (2023) ou Longlegs (2024). Certes, ils sont joliment faits mais une bonne photographie ne suffit pas. J’avais aussi été déçu par le premier Smile (2022), indéniablement spectaculaire mais un peu trop généreux en jumpscares faciles, alors que son successeur, sans être parfait, est un petit chef d’œuvre à mon humble avis. Mais l’exemple qui m’a le plus enthousiasmé récemment est In a Violent Nature (2024), qui pousse l’Elevated à la lisière de la parodie. En gros, le film de Chris Nash est une sorte de remake de la série Vendredi 13, recréant la plupart de ses moments emblématiques, mais filmés à la manière de Gus Van Sant à son plus conceptuel. D’ailleurs, les quelques scènes gore, étonnamment Grand Guignol, gâchent un peu l’ensemble et ressemblent à une forme de concession aux amateurs du genre, malmenés par toute cette lenteur méditative.
Comme le dit si bien Fred Simon, « un film d’horreur est « elevated » lorsqu’il transcende son genre et est un grand film en soi. » Et pour compléter sa liste de films bien connus et reconnus par (quasiment) tout le monde, j’ajouterais Massacre à la Tronçonneuse (1974), qui est pour moi l’Apocalypse Now (1979) de l’horreur, ou Schizophrenia (1983) qui est le Soy Cuba (1964) du film de serial killer. Deux films d’une grande ambition formelle, mais au budget pourtant très réduit. Car au fond, l’Elevated Horror est sans doute autant victime de l’argent que le cinéma d’horreur des années 1980 mais, là où ce dernier s’était affadi en devenant trop commercial, celui d’aujourd’hui devient trop prétentieux. Certains souffrent d’ailleurs parfois d’être des métaphores trop évidentes, même si ça ne m’avait pas gêné par exemple pour le modeste The Monster (2016). Vicious (2025), le dernier film de Bryan Bertino, pourtant bien plus nébuleux, m’a beaucoup moins convaincu. Sans doute lorgne-t-il trop sur la formule à la It Follows (2014), empruntée au déjà surfait Ring (2001). Mais après tout, de nombreuses étiquettes artistiques, exemplairement l’Impressionnisme, sont nées d’une attaque. Et comme tous les genres à succès, quand ils font un peu trop de petits comme le Metroidvania ou le roguelike, ça commence forcément à lasser. Et comme souvent dans ces cas-là, on devient d’emblée méfiant dès que le terme pointe le bout de son nez, et l’on condamne parfois abusivement l’œuvre avant même de lui avoir donné sa chance. Il n’y a pas de mauvais genre en soi, il n’a que des films plus ou moins bons, et pour couronner le tout, c’est totalement subjectif.
