La toute-puissance de la pensée

Scanners (1981)

Ce duel de Scanners commence à mal tourner…

Je vais poursuivre sur le matérialisme de mon article précédent avec un concept qui me tient à cœur. Concept que j’ai toujours appelé comme le titre de cet article en croyant qu’il s’agissait d’une dénomination « officielle » mais c’est semble-t-il une création de Serge Grünberg pour son livre sur David Cronenberg (dont il va être question ici), inspirée par Freud cela dit. Le terme philosophique semble apparemment plutôt être le problème (ou dichotomie) corps-esprit, encore qu’il se penche surtout sur la corrélation entre le cerveau et l’esprit, autrement dit la matérialisation physique de ce dernier. Or ce qui m’intéresse, c’est la propension de l’humain, en particulier l’intellectuel, à faire primer la pensée sur le corps. En vieillissant, on prend de plus en plus conscience du poids de son corps, et on cherche aussi (en vain bien entendu) à s’en libérer. Or Cronenberg est considéré comme l’inventeur du genre « body horror » (horreur corporelle ou viscérale), et l’un de ses thèmes principaux (sinon le thème principal) est justement de nous rappeler la connexion entre corps et pensée…

La haine de Nola Carveth se matérialise en utérus produisant des mutants tueurs dans Chromosome 3 (1979) tandis que, à l’inverse, Seth Brundle devient fou au fur et à mesure que son corps se transforme dans La Mouche (1986). Et dans Faux-semblants (1988), les frères jumeaux, sans être siamois physiquement, le sont par l’esprit ; l’un ne peut pas survivre sans l’autre. Mais il y a un film (peut-être deux en comptant son adaptation de Stephen King forcément un peu à part) de David Cronenberg qui fait exception et c’est précisément pour l’évoquer que Serge Grünberg emploie l’expression de « la toute-puissance de la pensée ». Il s’agit de Scanners (1981), dans lequel il est question de personnes aux pouvoirs télékinétiques. Mais ce qui m’intéresse n’est pas ce pouvoir (a priori) de l’esprit, mais ce qui se passe à la fin – désolé, je vais spoiler. En effet, l’audace est que le héros gagne mais au sacrifice de son corps. Lors du duel final, il donne même l’impression de mourir mais, twist, il a utilisé ses dernières ressources pour transférer son esprit dans le corps de son adversaire. Et le fait que le gentil ait l’apparence du méchant, c’est très perturbant pour le spectateur prosaïque.

RoboCop

La fameuse scène du démontage de RoboCop (1987)

Cronenberg use d’ailleurs d’une « mécanique » scénaristique similaire à la fin d’eXistenZ (1999) car, une fois réellement sorti du jeu vidéo imbriqué, le spectateur découvre que les protagonistes auxquels il s’était (a priori) attaché sont en réalité des terroristes, autrement dit les méchants craints pendant tout le film… C’est certes moins gore, mais il s’agit bien d’apprendre à faire abstraction de l’apparence, du corps, contrairement à ce qu’il se passe en général dans les autres films du réalisateur. Et un autre film de body horror, mais d’un autre cinéaste, aborde ce thème ; c’est RoboCop (1987). Cela dit, je ne sais pas si l’impact de la « séquence du démontage » est aussi fort pour les spectateurs d’aujourd’hui. Car le côté dérangeant de la scène, avec sa longue vis et son maquillage cybergore, c’est qu’on a l’impression de voir le visage de l’acteur collé sur un robot, alors qu’on avait jusque-là celle, tout naturellement car c’est le cas, de voir Peter Weller dans un costume. J’y ai d’ailleurs repensé récemment devant la série Swamp Thing finalement diffusée sur Amazon Prime chez nous. L’un des moments forts est – spoiler encore – que le héros réalise qu’il n’est pas Alec Holland transformé en créature végétale, mais une créature qui se croit humaine. On pense à SOMA, aussi.

Mais pour en revenir à RoboCop, si le remake de 2014 a assez unanimement été décrié, j’avais été plus nuancé dans mon article sur les remakes – dans lequel j’ai en passant oublié de mentionner The Blob (1988) comme exemple de film bien supérieur à l’original. Je trouvais son scénario plus riche que celui du Verhoeven, et c’est sa réalisation qui n’était pas à la hauteur. En revanche, j’avais trouvé sa « séquence du démontage » (du moins son équivalent) plus réussi. On est totalement dans la logique de la « la toute-puissance de la pensée » puisque c’est tout ce qui reste d’Alex Murphy en dehors de son visage, ses poumons et une main… Et comme j’aime bien sauver des trucs dans des films oubliés ou considérés comme mauvais, j’aimerais évoquer le thriller de SF canadien XChange (2000), cité brièvement dans mon article sur SOMA justement. Son concept est pourtant très intéressant, puisqu’il se déroule dans un futur où l’on change de corps pour pouvoir se déplacer plus vite. On retrouve donc les corps inversés de Scanners (1981), mais dès le début comme dans Volte-face, si bien que le sympathique Kyle McLachlan joue le rôle du méchant terroriste pour incarner le héros pendant la majorité du film… Enfin pas tout à fait, car il se retrouve ensuite dans le corps de Stephen Baldwin, un clone éphémère servant uniquement à ce mode de téléportation. Or il y a une scène où il est contraint de se trancher le bras, ce qui doit être assez désagréable même quand on sait que ce n’est pas le sien ! Comme quoi, même si on estime que l’esprit est plus important, il est difficile de ne pas être un minimum matérialiste de temps à autre…

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