The Mask (1961)
J’expliquais la dernière fois que September Storm (1960) était le seul film américain en 3D sorti entre la première vague du début des années 1950 et la vaguelette Space-Vision du milieu des années 1960 (qui préfigure la deuxième vague des années 1980), mais cela ne veut pas dire qu’il n’y en ait pas eu dans d’autres pays – comme vous êtes naïfs ! The Mask (1961) est d’ailleurs carrément le tout premier long-métrage d’horreur canadien et, s’il n’entretient aucun rapport direct avec le film qui a révélé Jim Carrey (qui est canadien cela dit), il y a tout de même quelques similarités troublantes… Ayant débuté sa carrière dans la publicité, le documentaire et même le film de propagande pour l’effort de guerre (y compris sous la forme d’une comédie musicale !), Julian Roffman a toutefois été blacklisté aux États-Unis dans les années 1950 pour avoir écrit des critiques dans un magazine communiste durant sa jeunesse. De retour au Canada, il a quasiment recréé à lui seule l’industrie cinématographique locale, alors assez inexistante depuis l’époque du muet. Sa première tentative au titre là aussi étrangement prémonitoire, The Bloody Brood (1959), sera toutefois un échec mais pas la seconde. Roffman était fier de The Mask et en particulier de la 3D, mais il aurait aimé rester dans les mémoires pour d’autres films. Il a hélas refusé par la suite des propositions de films d’horreur, et n’a pas tellement réussi à monter de projets plus personnels…
Et The Mask est aussi un film assez unique en matière de 3D. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’expliquer, les salles n’étaient alors plus équipées pour les projections en 3D, et le système permettant de mettre les deux images côte-à-côte n’avait pas encore été mis au point. Le film a donc eu recours à la 3D anaglyphe (celle qui nécessite le port de lunettes aux verres rouge et cyan) qui n’était pas problématique ici puisque l’image était en noir et blanc. Mais ce qui le rend très spécial, c’est surtout que la 3D se limite à certaines scènes, ce que feront bien plus tard certains films comme La Fin de Freddy : L’Ultime Cauchemar (1991) – il aurait été plus amusant cela dit que ça tombe encore sur le troisième épisode, vu qu’il a été réalisé par Chuck Russell comme The Mask (1994) – mais d’une manière bien moins élégante et cohérente avec l’histoire… Car ici, bien que le concept soit expliqué au début du film (via une introduction qui a rapidement été coupée au montage avant d’être restaurée par cette réédition), les personnages entendent de manière répétée l’appel du masque tribal leur demandant de l’enfiler, incitant les spectateurs, munis des paires de lunettes ci-dessous, à en faire autant.

Notez toutefois que l’inventif William Castle avait utilisé peu avant un procédé similaire pour son 13 Ghosts (1960), également avec des lunettes anaglyphes mais pas pour de la 3D, juste pour voir les fantômes invisibles sinon. Mais les séquences en 3D de The Mask ont un tout autre cachet. Ces visions fantasmagoriques, si elles contiennent parfois quelques éléments un peu Grand-Guignol (de vilains faux serpents sortant des orbites d’un crâne, des silhouettes d’araignées cheap, etc.), ont été à l’origine conçues par Slavko Vorkapich, un spécialiste renommé dont deux courts-métrages sont proposés en bonus, ainsi qu’un montage de séquences similaires ou ayant recours aux transparences qu’il a créées pour d’autres films, parfois connus comme David Copperfield (1935) ou Monsieur Smith au Sénat (1939). Mais en réalité, son travail n’a pas été utilisé pour The Mask pour des raisons de coûts, bien qu’il soit tout de même crédité – et il faisait confiance au réalisateur pour faire aussi bien que lui !… Dans le même esprit, le film emploie une musique électronique expérimentale (en 1961 !) dont le compositeur est hélas décédé en cours de tournage, et a dû être remplacé.
Je me suis demandé si les retours à la « réalité » n’allaient pas sembler paradoxalement étranges puisque – je me tue à la répéter – le monde réel est en 3D contrairement à la majeure partie des films mais, comme l’ensemble est en noir et blanc, cela lui confère un côté plus fictionnel ; je ne sais plus quel critique notait que les films muets donnaient par exemple davantage l’impression de se dérouler dans le passé plutôt qu’en temps réel (à cause des intertitres surtout, cela dit). Ainsi, les scènes en 3D ont un aspect forcément immersif qui les rend en quelque sorte sur-réalistes. L’inconvénient du procédé est tout de même qu’il faut attendre vingt-cinq minutes pour la première séquence et qu’il n’y en a que trois pour une durée d’un quart d’heure… Et même si le reste est en grande partie composé de dialogues, il y a des plans intéressants (notamment des vues subjectives, dont une du masque) et surtout des scènes de suspense, dont le meurtre du prologue mais aussi le climax que j’aurais bien aimé voir en 3D, mais il pouvait difficilement y avoir d’affrontement final avec un participant tenant le masque contre son visage… Et c’est un peu dommage car, comme Psychose (1960) est sorti auparavant, le film se permet d’être plus violent et graphique qu’un The Maze (1953) par exemple, même s’il n’y a pas une goutte de sang. L’ensemble est assez soft pour passer la censure de l’époque, mais assez dérangeant pour marquer les esprits (de l’époque aussi, du moins). Et outre le fait que l’utilisation du procédé anaglyphe lui aura permis de ressortir plus facilement, notamment sous le nom Eyes of Hell/Les yeux de l’enfer, elle a au moins le mérite de mieux montrer au spectateur ce qu’il perd chaque fois qu’il retourne à la 2D…