Si Le Marchand de sable ne constitue pas un souvenir aussi douloureux qu’Et la vie continue… presque partout, il m’a tout de même suscité pas mal de frustrations… Il faut dire qu’en tant que film de fin d’études, j’espérais que ce soit l’aboutissement de mes précédentes recherches et, si je ne l’ai d’emblée pas pensé comme aussi formaliste qu’Invasion, il était tout de même ambitieux car je voulais enfin concrétiser mon « gimmick » : créer au moins une scène onirique en plan-séquence et en vue subjective dans chacun de mes films. Or, là où c’est vraiment rageant c’est que, comme bien souvent hélas, les difficultés ne sont pas tant venues de mes velléités ou d’un manque de préparation, que de problèmes techniques totalement indépendants de ma volonté… Déjà, je ne bénéficiais pas du même matériel que pour Et la vie continue… et plutôt que de reprendre un travelling étroit comme pour Invasion (qui m’avait du reste posé des problèmes), j’avais cette fois décidé de louer un steadicam, qui me semblait plus adapté pour l’aspect onirique en particulier, et qui me permettait enfin de faire des mouvements verticaux sans dolly ou grue. Là où je suis fautif (mais je pouvais difficilement faire autrement avec mes moyens), c’est qu’un steadicam ne remplacera jamais un travelling rectiligne ; ses mouvements sont plus « invisibles » et ont donc moins d’impact. Bien entendu, les équipes de tournage professionnelles disposent en général des deux…
Mais surtout, la location avait été plus compliquée cette fois, car j’avais dû passer par la société de mon père (le loueur n’acceptait pas les « particuliers »), et le matériel fourni était incomplet. Il manquait le câble de retour entre la caméra et le moniteur de l’opérateur (qui ne peut évidemment pas rester collé à l’œilleton), et le premier plan tourné avec (à 7′23″) a dû être réalisé « à l’aveugle », le temps que mon pote fasse un aller-retour à l’école (à une trentaine de kilomètres) pour en demander un au « magasin » – et sans se tromper de connectique, car on n’avait pas de smartphone à l’époque pour facilement montrer ce dont on avait besoin… En outre, comme je tournais tôt comme à mon habitude, et donc en même temps que les tournages en pellicule, je n’avais pas pu avoir les chefs opérateurs chevronnés et j’ai dû me contenter d’un étudiant assez peu expérimenté. Heureusement, je cherchais quelque chose de moins expressionniste que mes deux films précédents, comme je reste convaincu que les rêves sont toujours très réalistes sur le plan visuel. Mais hélas, j’ai eu droit à un second gros problème technique, plus handicapant encore que le premier car lui irréversible…
Comme chaque fois, alors que j’étais parmi les premiers à tourner, j’ai été ironiquement parmi les derniers à rendre ma copie (enfin j’en sais rien à vrai dire), mais pas par lenteur ; j’ai attendu des semaines pour que mon ingénieur du son et son collègue me livrent leur travail. Du fait de l’utilisation d’un steadicam, il n’était pas possible (ou en tout cas laborieux) de brancher directement la mixette à la caméra, et j’ai donc dû louer un DAT, autrement dit un enregistreur numérique (ce qui implique de réaliser le fameux clap à chaque plan pour synchroniser image et son au montage). Or, peut-être était-ce lié à la canicule au moment du tournage, mais le son a été fortement endommagé et c’est probablement la raison pour laquelle l’ingénieur tardait à me le livrer, sans doute en panique. Mais le pire est que, pour la plupart des plans, le son était correct au début et empirait à chaque nouvelle prise ; j’étais donc contraint de prendre les premières qui sont rarement les meilleures, par définition… Et cela n’aidait pas vraiment que mon acteur fétiche (lui-même étudiant en réalisation en passant) n’articule pas des masses. Déjà pour Invasion, il y avait une version du mixage (bien entendu celle projetée en fin d’année) où certains de ses dialogues étaient peu audibles, mais là c’est pire.
À côté de ça, le fameux rêve en plan-séquence dans le parc s’est parfaitement déroulé. Un gardien a certes fini par arriver en jeep pour nous demander une autorisation, mais on n’en avait pas besoin (c’était un tournage non commercial) et on avait du reste déjà terminé… Il faut dire que la scène avait été préparée en détail et, globalement, comme mon frère faisait office d’assistant-réalisateur et qu’il connaissait parfaitement le découpage, c’était facile. Néanmoins, cela restait un sacré défi d’adapter cette nouvelle de quarante-cinq pages en dix minutes, tout en la transposant à notre époque. Comme je l’ai ainsi énormément compressée, que je l’ai encore rabotée au montage et que le résultat est composé des moins bonnes prises, ce n’est sans doute pas facile à comprendre (et à apprécier) du premier coup. Cela dit, ce film m’a donné deux petites satisfactions des années plus tard ! Déjà j’ai appris que l’un de mes réalisateurs préférés, Dario Argento, voulait aussi adapter L’Homme au sable (même si ça ne s’est au final jamais fait hélas), et j’ai retrouvé mon idée d’utiliser des reprises de pop (ici New Order) au violon comme métaphore du répliquant dans la bande originale de la série Westworld – je ne dis pas qu’ils me l’ont piqué, hein, juste qu’ils ont eu la même…